On retrouve Pierre Darmet, des Jardins de Gally, pour explorer la vie des plantes, découvrir la diversité des jardins et imaginer nos relations au vivant pour mieux vivre dans les villes et les territoires. Dans cette chronique, nous parlons aussi d’histoire.

En ce jour de funérailles de la Reine Elizabeth II, nous avons souhaité évoquer la couronne sous le prisme de sa relation avec les plantes, les fleurs et les jardins. Il y a quelques mois, Pierre, vous consacriez un épisode aux fleurs en politique. Pour vous, quels sont les liens entre le végétal et la défunte souveraine ?

Soulignons tout d’abord la passion des Britanniques, dans tout le Royaume-Uni et au-delà pour les plantes, les fleurs et les jardins. C’est une véritable institution ! L’insularité et le Gulf stream permettent de cultiver une incroyable diversité de plantes. Les pépinières Hillier, où se fournissait régulièrement la reine Elizabeth II, sont un des témoins vivants de cette extraordinaire culture botanique. Il ne s’agit pas ici pour moi de glorifier cette passion britannique, très liée à l’histoire de l’Empire, pas plus que de me poser en fanatique de la royauté. On ne peut cependant pas être indifférent à cette culture si forte et particulière, lorsque l’on aime les jardins. L’Angleterre a été le lieu d’acclimatation et de multiplication de milliers d’espèces, rapportées des expéditions coloniales. Le XIXe siècle, l’époque de la reine Victoria, qui a régné pendant 63 ans, 2e règne le plus long de l’histoire après celui d’Elizabeth II, a marqué l’histoire. J’ai le souvenir ému d’une balade à vélo dans le Connemara qui m’avait conduit à la visite de l’abbaye de Kylemore, avec son jardin et ses serres victoriennes. Mais l’engouement va bien au-delà des demeures royales. Nous avions ici parlé des plantes d’intérieur. La révolution industrielle, qui a démarré au Royaume-Uni, a arraché à la terre des populations qui, devenues ouvrières, cultivaient des plantes dans leurs intérieurs. On pense aux jardins à l’anglaise, à l’allure libre mais qui réclament un soin au moins aussi conséquent que leurs cousins à la française, aux airs pourtant plus stricts et entretenus. Ce ne sont pas que les gentils jardins des cottages. IL y a aussi l’absence de clôtures entre les parcelles. Je pense aussi aux communs, des espaces plantés par des citoyens pour tous. Pensons également aux comices agricoles, où les concours des plus beaux bouquets et des plus beaux légumes, qui peuvent sembler désuets, sont l’objet d’une attention si fortes ! C’est aussi une formidable connaissance et un amour inconditionnel du végétal, qu’il soit sauvage ou cultivé. Je pense notamment à un des plus grands ambassadeurs du vivant, Sir David Attenborough, illustre présentateur de télévision, qui continue de partager la beauté du vivant et d’alerter sur les dangers qui le guettent. En 2018, on le voyait arpenter les jardins de Buckingham Palace avec Elizabeth II, dans une émission intitulée « The Queen’s Green Planet ». C’est aussi un esprit rebelle, irrévérencieux, à l’image de la relation ambivalente avec la royauté. Je pense au Guerilla gardening, la guérilla jardinière, dont Londres a été pionnière, avec ces jeunes citadins qui, la nuit, illégalement, sèment et plantent des espaces publics inutilisés, utilisant notamment des seed bombs, les bombes de graines. J’ai eu la chance de recevoir et d’interviewer Richard Reynolds, un publicitaire, leader du mouvement à Londres, qui a écrit un ouvrage sur le sujet. Et j’en profite enfin pour saluer Dusty Gedge, écologue urbain spécialiste des toitures végétalisées et de la biodiversité urbaine, sujet de sa Majesté plus fan des Sex pistols que du protocole !  

Cette passion anglaise a l’air contagieuse, à vous entendre, Pierre ! Et la reine Elizabeth II, qui est célébrée depuis 10 jours par des millions de fleurs, déposées par les Britanniques dans les jardins de Londres, quel était son rapport avec les plantes ?

La reine Elizabeth II aimait les plantes et en particulier les fleurs. On dit qu’elle adorait les roses de couleur rose. En ce sens, elle réconciliait à sa façon les maisons de Lancastre, à la rose blanche et d’York, à la rose rouge, qui s’opposèrent durant trente ans, au 15e siècle, dans la guerre dite des Deux roses. C’est Henri VII Tudor qui choisit la rose rouge comme emblème, la rose Tudor, qui orne le maillot des équipes sportives d’Angleterre, notamment celui des rugbymen du XV de la rose. La reine Elizabeth aime la campagne. On connait sa passion pour les chevaux. Elle se retirait souvent à Balmoral, sa dernière demeure, où elle est morte jeudi 8 septembre. A ce propos, un épisode de la série The Crown, dans la 2e saison, la montre seule à Balmoral, en train de tailler des rosiers. Elle était alors en froid avec le Prince Philipp. Cette scène m'a marqué tant par l'outil utilisé par les scénaristes pour l'effet dramatique - la reine joue vigoureusement du sécateur et son époux, qui tente de renouer le contact, la surprend en plein exercice - que pour l'anachronisme, car la scène se déroule si ce n'est l'hiver, au moins dans un automne bien avancé et, malgré des arbres sans feuilles, les roses sont d'un rouge éclatant. On dit que la reine aimait les jardins autant pour leur tranquillité que pour y donner des garden parties. Elle n’était pas ce que l’on pourrait appeler une jardinière pratique, les mains dans la terre, mais elle avait un goût certain pour l’art du jardin. On dit qu’elle connaissait mieux que personne les jardins de Buckingham. Elle s’était vu offrir, dès l’âge de 6 ans, un cottage miniature par des habitants du Pays de Galles, qui disposait de son propre jardin et fut installé à Windsor. En 1940, alors âgée de 14 ans, elle est photographiée avec sa sœur Margaret pour la propagande Dig for victory, campagne du gouvernement de Winston Churchill qui incitait à cultiver massivement des potagers dans les jardins, pour résister à l’isolement face aux attaques de l’aviation nazie. Le végétal est aussi un outil diplomatique. La reine vantait notamment les qualités des fleurs des régions tropicales et subtropicales du Commonwealth. Durant son règne, elle a planté bien des arbres, dans le Royaume-Uni et en déplacement. En 2017, pour l’ouverture du Parlement, en plein débats sur le Brexit, elle arborait ce chapeau aux fleurs bleues et jaunes, que nombre d’observateur interpréta comme un soutien au Remain. Récemment encore, en mars 2022, sortie de convalescence, pour sa première rencontre officielle, avec le Premier ministre canadien Justin Trudeau, c’est un bouquet de fleurs jaunes et bleues qui défraya la chronique, comme signe discret de son soutien à la cause Ukrainienne. On peut dire, si vous me le permettez, que si l’on peut aller à la guerre « la fleur au fusil », on peut aussi user de la diplomatie de la rose ! 

« Des fleurs jaunes et bleues pour le printemps ». Cela me rappelle le titre de l’une de vos chroniques, parue au même moment. Quels étaient ses liens avec les institutions botaniques britanniques ?

Evidemment, au-delà d’un goût personnel, la reine représente l’institution. Elizabeth II était ainsi la marraine de la Royal horticultural society, une institution dont la richesse botanique est incomparable, avec notamment les jardins et les serres de Kew Gardens, dans le Grand Londres. Elizabeth II a endossé cette fonction au décès de son père le roi George VI, aux côtés de sa mère la reine mère Elizabeth, jusqu’au décès de cette dernière en 2002. Elisabeth II était notamment, à ce titre, marraine du Chelsea Flower show, la plus grande exposition de jardins au monde, événement organisé chaque année au mois de mai par la Société royale d’horticulture. Elle a effectué 50 visites officielles en tant que reine depuis 1955, jusqu'à la dernière édition en date, en mai 2022. Elle visitait l’exposition le lundi après-midi, veille de l'ouverture officielle.

Et en France ?

A Paris, Le marché aux fleurs Reine-Elizabeth-II, anciennement « Marché aux fleurs et aux oiseaux », installé sur l'île de la Cité, a été inauguré lors de la visite d'Etat de la Reine en juin 2014.

Le nouveau roi, Charles III, a-t-il le même goût pour les jardins ?

En plus de représenter la continuité de l’institution, l’ex-Prince Charles a démontré son attrait pour la nature. On dit de Charles qu’il est le premier roi écolo. Je ne rentrerai pas dans le débat sur son empreinte carbone, même s’il ne serait pas étranger, au-delà de considérations pratiques, à la note du Foreign office incitant les délégations de chefs d’Etat à venir aux funérailles de la reine en vols commerciaux plutôt qu’en jet et à emprunter des bus plutôt que des voitures blindées individuelles. Le Prince Charles aime le jardin. Il a créé un parc dans sa propriété de Highgrove, avec une collection de hêtres, la plus importante du Royaume-Uni. Plus récemment, il lançait une production d’orties pour la confection textile, vantant la frugalité et la robustesse de sa fibre. En 2021, dans la perspective du jubilée de platine de sa mère, il a prolongé le projet initié par Elizabeth II nommé « The Queen’s Commonwealth canopy », visant la préservation et la plantation de forêts dans 53 pays. Témoin de son érudition et de son engagement pour la cause chlorophyllienne, il a reçu en 2009 de sa mère la reine la plus haute distinction horticole du royaume, lors du Chelsea Flower Show. Il devrait probablement lui succéder au patronage de l’institution horticole. Un personnage royal s’éteint, sa mission pour l’horticulture perdure. « La reine est morte, vive le roi ! », God save the rose!

Merci Pierre et à très bientôt, sur les ondes et en podcast. Merci Marie. Portez-vous bien, cultivez votre jardin et surtout… Restons en lien !