Alors que, depuis des semaines, les températures dépassent de plusieurs degrés les normales de saison, Pierre Darmet, des Jardins de Gally, nous propose des pistes pour contrer les effets du dérèglement climatique, néfastes à nos jardins, en y créant des îlots de fraicheur.

 

Fraîcheur sur la ville. 

Entretien avec Anaïs Sorce, journaliste, RCF Lyon. 

On retrouve Pierre Darmet, des Jardins de Gally, pour explorer la ville et le vivant qui l’habite, découvrir la diversité des jardins et imaginer des relations fertiles avec la biodiversité, pour mieux vivre dans les villes et les territoires.

Bonjour Anaïs, bonjour à toutes et à tous.

Plutôt que « Peur sur la ville », d’Henri Verneuil, dans lequel un commissaire, alias Jean-Paul Belmondo mène l’enquête jusque sur le toit du métro, vous nous proposez pour cette chronique ce qui pourrait être le titre d’un film en quête de températures clémentes : « Fraicheur sur la ville » !

En effet, les mois se suivent et se ressemblent. Cet été a été très chaud, vous avez toutes et tous pu le ressentir, notamment à Lyon : les fortes chaleurs et même les canicules se succèdent et durent de plus en plus longtemps. Nous sommes maintenant en automne et les records de température continuent d’être battus. Le mois de septembre a été le plus chaud de notre histoire, en France et dans le monde et l’année 2023 dans son ensemble s’annonce elle aussi record, comme l’indiquait il y a quelques jours Copernic, l’observatoire européen du climat, avec +1,4 degrés par rapport au siècle dernier. La machine climatique s'emballe. Il faut la freiner, en réduisant nos émissions de carbone mais aussi, sans tarder, il nous faut faire avec ces dérèglements, qui sont déjà là. Vous l'aurez noté dans bien des médias, un verbe a fait son apparition et est martelé depuis plusieurs mois : il faut s'adapter.

Concrètement, comment fait-on ? Et quels sont les liens entre le jardin et l’adaptation ?

Les ilots de fraicheur. Le jardin et plus largement le vivant n'est pas une panacée mais c'est un moyen low tech de rafraichir notre environnement et en particulier la ville. Les villes, spécialement à cause de la forte proportion de surfaces minérales comme le bitume et le béton, exacerbent l’effet des températures élevées, créant ce que l’on appelle des ilots de chaleur, si bien que le thermomètre relève 2 à 10 degrés de plus que dans la périphérie et les campagnes environnantes. Les espaces verts constituent, eux, des ilots de fraicheur, de véritables oasis. Songez que la température à l’ombre d’un espace végétalisé est de 2 à 8 degrés inferieure à un espace bétonné ou bitumé. Les arbres sont particulièrement en pointe. L’agence pour la transition écologique, l’Ademe, nous dit par exemple que l’ombre des arbres permet de réduire localement la température de 3 à 5°C. Ce sont aussi de 50 à 60 % de consommation énergétique pour la climatisation qui sont économisés. Le végétal est un vecteur de rafraichissement, mais c’est l’eau qui en est la source. 

Que voulez-vous dire ?

Les plantes la stockent et aident à sa transformation. Un arbre de 12 m puise 225 L d’eau par jour dans le sol. Le médecin et explorateur Jean-Louis Etienne a une jolie expression pour cela : il dit que les arbres sont des châteaux d'eau. 90 % de l’eau absorbée par les racines sont rejetés par les feuilles sous la forme de vapeur d’eau. J’ajouterais donc que c’est un château d’eau doublé d’un brumisateur.

Comment est-ce que cela fonctionne ?

Le mot savant, c’est l’évapotranspiration, autrement dit la transpiration et l’évaporation de l’eau par les sols et les plantes. L’eau contenue dans la plante passe de l’état liquide à l’état gazeux : en effet, vous ne voyez pas des litres et des litres d’eau couler par les feuilles, car la vapeur d’eau, c’est un gaz.  Ce phénomène, ce passage de l’eau liquide à l’état de gaz, la vapeur d’eau, consomme énormément d'énergie lumineuse, celle qui provient du soleil, qui de ce fait ne réchauffe pas le sol et notamment les sols minéraux et sombres des villes. Cela rafraîchit. On le mesure aujourd’hui avec des capteurs qui montrent que la température à la surface des feuilles d’un arbre est jusqu’à 10 degrés inférieure à celle de l’air ambiant, et le climat local est lui rafraichi de 2 à 6 degrés. Mieux que n’importe quel climatiseur, sans consommer une seule goutte d’énergie fossile ou un seul Watt d’électricité !

Mais alors, toute cette eau, ces 225 L par arbre, multipliée par le nombre de sujets de nos parcs et jardins, n’est-elle pas perdue ?

Que nenni ! Les végétaux transpirent pour réguler leur propre température et cela est bon pour nous. Nous devrions les remercier chaque jour ! Cette eau transpirée, qui retourne dans l’air sous forme de vapeur d’eau constitue, comme celle des sols, l’eau verte.

L’eau verte, kesako, de l’eau qui stagne ?

C’est, pour le dire simplement, l’humidité des sols et des végétaux. Vous avez peut-être entendu parler des 9 limites planétaires. Nous en avons déjà dépassé 6. La dernière en date, c’est l’eau bleue, autrement dit les cours d’eau, les lacs et les réserves souterraines. L’an dernier, c’était la limite de l’eau verte qui était franchie. L’eau verte, c’est celle qu’on ne voit pas, qui est contenue dans la terre et qui transite par les végétaux via la fameuse évapotranspiration. Tenez-vous bien : 2/3 des pluies sur les continents proviennent de cette eau verte, de la transpiration des sols et des végétaux. Donc rien ne se perd, au contraire. « La formation des déserts n’est pas due à l’absence de pluie ; mais plutôt la pluie cesse de tomber parce que la végétation a disparu », disait Masanobu Fukuoka, microbiologiste et agriculteur Japonais, pionnier de la permaculture. L’an dernier, sur cette même antenne, je vous disais de manière un peu provocante qu’il faut « planter pour faire tomber la pluie ! ».

N'est-ce pas aux municipalités d’agir ?

Pas seulement. Chacun peut faire sa part. En moyenne, on estime que plus de la moitié de la surface de nature des villes en France est privée. Ainsi, dans l'agglomération de Lyon, ce sont 70 % des espaces verts qui sont privés : jardins de pavillons, cours d'immeubles, jardins d'entreprises, etc. Une goutte d’eau, lorsqu’elle se pose sur le sol, n’a que faire des limites administratives. Chacun peut et doit agir.

Pierre, c’est bien beau tout cela, mais quand il ne pleut pas, que faire ?

Vous avez raison, les précipitations sont parfois critiques. Tout d’abord, récupérons l’eau de pluie. Ensuite, comme l’a annoncé le gouvernement, les projets de réutilisation des eaux usées traitées vont se multiplier, notamment pour l’arrosage des espaces verts. Enfin, protégeons les sols. C’est le socle de vie et la base du rafraichissement végétal, comme l’eau en est la source.

C’est-à-dire ?

C'est l'autre clé. La clé du sol, si vous m'autorisez cette formule. Un sol perméable à l’eau, qui la laisse s’infiltrer, peut conserver de l’humidité et même stocker l’eau lorsqu’elle tombe, souvent de plus en plus fort sur des périodes très courtes. 

Que faire alors, dans notre jardin ?

Résister. Résister à la tentation de tout bétonner pour gagner en facilité. On la connait, cette tentation, face aux surfaces à entretenir, à l’idée de devenir un forçat de la tondeuse. Béton, bitume, bidim, stabilisé, gazon synthétique, dalles, carrelage, platelage, bâches ou que sais-je encore se sont multipliés ces dernières décennies dans les jardins. Bien sûr, nous avons droit à des allées et des espaces plans pour une table, des chaises ou même un bureau en extérieur. Mais la tendance est allée bien au-delà du raisonnable. Les sols ont été imperméabilisés, rendus étanches et la vie qu’ils abritent, comme les vers de terre et toute la microfaune, a été pour partie détruite. Chaque mètre carré imperméabilisé, c’est un sol abimé et c’est une rustine qui empêche l’eau de s’infiltrer. Oui, un sol vivant s’entretient. Oui, un gazon peut devenir tout paillasson à la sortie de l’été, comme le disait ici votre pépiniériste préféré, Bruno Imbert. Mais mieux vaut un paillasson qu'une paroi étanche ! D’autant que, comme nous l’indiquions dans de précédentes chroniques, les alternatives existent.

Tegelwippen

Est-il possible d’inverser cette tendance à la minéralisation des jardins ?

Bien sûr. On résiste à la tentation et on agit pour transformer l’existant. On parle beaucoup en ce moment de débitumer ou de déminéraliser les trottoirs et les cours d’écoles. Concrètement, c’est aussi possible chez nous. Nos voisins du Nord de l’Europe ont une longueur d’avance. Beaucoup de jardins, aux Pays-Bas et en Belgique, sont aménagés avec des dalles, qui ont rendu les sols imperméables. Vous connaissez la suite pour l’eau et la chaleur. Depuis 3 ans, un championnat a lieu à l’automne pour retirer un maximum de dalles et les remplacer par diverses plantations, afin de mieux infiltrer et stocker l’eau de pluie et de ménager une place pour la biodiversité et, ainsi, de contrer une partie des effets du dérèglement climatique et notamment de créer des ilots de fraicheur. Cette compétition s’appelle le Tegelwippen. Cette année, 166 villes néerlandaises s'affrontent. En trois éditions, les hollandais ont retiré plus de 2,8 millions de dalles, remplaçant l'équivalent de 55 terrains de football par de l'herbe, des parterres de fleurs et des arbres. Et tout récemment, la semaine dernière, la ville de Rennes a annoncé sponsoriser la déminéralisation des jardins jusqu’à 30 € / m². Alors, chiche ?

Chiche. Un dernier message pour nos auditrices et nos auditeurs jardiniers ?

Oui. Les arbres, on l’a dit, sont les meilleurs climatiseurs et cela est d’autant plus vraie qu’ils sont âgés et procurent une large surface d’ombre. Protégeons-les. A la plantation, arrosons-les ainsi que Bruno, des Pépinières Imbert, vous l’a conseillé dans plusieurs chroniques : abondamment les 2 premières années, pas tous les jours mais par quinzaine, pour que les racines se débrouillent ensuite pour aller chercher l’eau dans le sol. Et consultez également les podcasts de nos chroniques pour faire évoluer les palettes végétales de vos jardins. Enfin, soyons curieux, partageons nos astuces. A chaque jardin sa solution. C’est le rôle des jardiniers, des pépiniéristes et des paysagistes concepteurs de vous conseiller.

Merci Pierre pour ce vent de fraicheur. Nous nous retrouvons en podcast dès à présent et très bientôt sur cette antenne.

Merci Anaïs. Portez-vous bien, cultivez votre jardin et surtout, restons en lien !

 

 

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